Par Magalie Chantreau, Responsable veille sociale et Lisa Bidois, Juriste en droit social

Une femme malade regarde le chiffre indiqué sur un thermomètre

La loi DDADUE du 22 avril 2024 change de paradigme quant à l’acquisition de congés payés pendant les arrêts-maladie. Une loi plus complexe à mettre en œuvre qu’il n’y paraît et qui mérite quelques éclairages.

La genèse de la réforme

Jusqu’ici dans le droit français les arrêts-maladies sans lien avec le travail étaient dissociés du temps de travail effectif, et ne permettaient pas d’acquérir des congés payés. Les arrêts pour Accidents du Travail et Maladies Professionnelles (AT/MP) étaient, quant à eux, assimilés à du temps effectif de travail dans la limite d’un an, même si l’arrêt durait plus longtemps. En cela, le droit français était contraire au droit européen. La Cour de cassation rendait jusqu’ici des décisions conformes au droit français, retoquées par les juges européens. Malgré les amendes infligées à l’État français, ce dernier ne semblait pas prompt à s’emparer de cette problématique, jusqu’à ce que la Cour de cassation, en septembre 2023, rende deux arrêts fondés sur le droit européen, créant ainsi un revirement de jurisprudence. Ces jugements assimilent les arrêts-maladies à du temps de travail effectif et donnent droit à des congés payés aux salariés sans limite d’un an pour le cas des AT/MP.

Coup de tonnerre dans les entreprises ! Quid de la rétroactivité ? Devaient-elles appliquer le droit français ou la jurisprudence ?

L’État a donc réagi avec la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, dite loi DDADUE.

Les grandes lignes de la réforme et l’esprit de la loi

Cette loi, entrée en vigueur le 24 avril 2024, porte sur beaucoup de sujets, mais dans le cas qui nous intéresse, elle définit que les salariés en arrêt pour maladie non professionnelle cumulent désormais 2 jours ouvrables de congés payés par mois, de manière à garantir les 4 semaines minimum de congés consacrées par le droit européen dans le Traité de Lisbonne du 1er décembre 2009. En cas d’AT/MP, la loi confirme la décision de la Cour de cassation en accordant 2,5 jours de congés par mois, sans limite de durée.

L’esprit de la loi vise à la fois à préserver l’acquisition des congés, mais aussi à ne pas pénaliser l’employeur en cas de grands arrêts-maladies. Aussi introduit-elle la notion de période de report. Le salarié qui a été absent pour maladie ou accident a l’autorisation de reporter les congés qu’il n’a pas pu prendre du fait de son absence dans une période de 15 mois à partir de son retour. Le législateur a également introduit de nombreuses règles de dérogation pour des cas particuliers, de manière à ce que les salariés n’aient pas des compteurs de congés trop volumineux à leur retour d’absence.

La loi introduit également la notion de rétroactivité pour les arrêts dus à des maladies non professionnelles. Si le salarié a quitté l’entreprise, il dispose de trois ans (la prescription triennale classique) pour porter réclamation après la rupture de son contrat de travail. S’il est encore en poste, au 24 avril 2024, il doit agir dans les deux ans, soit jusqu’au 23 avril 2026. Les salariés peuvent réclamer leurs droits en remontant jusqu’au 1er décembre 2009, date de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne introduisant le minimum de 4 semaines de congés payés.

Attention aux effets d’annonce de cette loi et à la complexité de sa mise en œuvre

Le nombre de personnes à qui peut s’appliquer la rétroactivité semble assez restreint. En effet, elle ne concerne tout d’abord que les effectifs du privé, et beaucoup de conventions collectives ou d’accords d’entreprise étaient déjà plus favorables que la loi française initiale. Ces mêmes conventions et accords plus avantageux resteront applicables même après la mise en œuvre de la nouvelle loi.

Par ailleurs, les syndicats se sont engouffrés dans cette thématique pour valoriser leurs services d’aide aux salariés pour faire valoir leurs droits, mais attention, le sujet est bien cadré : si le salarié ne prend pas ses congés dans le délai de report de 15 mois, les congés acquis sont définitivement perdus. Ils ne peuvent être payés, à l’exception des salariés pour lesquels le contrat de travail est rompu.

Côté employeur, la mise en œuvre est compliquée : le calcul de la rétroactivité reste complexe. L’employeur avait un mois pour signifier leurs droits aux salariés impactés : une notification sur le nombre de jours de congés acquis pour les salariés encore en poste, et l’envoi d’un solde (payé cette fois-ci) pour les salariés partis depuis. Si l’employeur ne s’est pas acquitté de cette obligation, le salarié est en droit d’intenter une action.

Côté éditeur, la tâche est également rude. Si pour les autres réformes, le gouvernement s’appuyait beaucoup sur les échanges avec l’association SDDS (Simplification et Dématérialisation des Données Sociétés), dont beaucoup d’éditeurs sont membres, l’État ne les a cette fois-ci pas consultés. Nous avons découvert les éléments de cette réforme en même temps que le grand public lorsqu’un amendement sur le sujet est passé. Or, l’évolution des programmes de paie est complexe car on n’imagine pas les conséquences dans les programmes informatiques : le calcul des congés payés pendant les arrêts-maladies, c’est comme des poupées russes ! Quand on touche à l’acquisition des congés payés, le calcul de la valorisation de l’indemnité CP est impacté, et l’analyse des cas exceptionnels doit être prévue (entrée ou sortie en cours de mois, congés payés supplémentaires…).